Le silence que je voudrai faire entrer
en vous est cette étendue sans limites dans laquelle le non-être se transforme
en être, et l’être en non être. C’est ce vide imposant ou nait et s’éteint
chaque son, et ou chaque forme est sculptée et écrasée ; ou chaque moi est
écrit et effacé. Ou rien n’est autre que « cela ».Si vous ne traversez pas ce
vide et cette étendue en contemplation silencieuse, vous ne saurez pas combien
votre être est réel irréel le non être. Et vous ne saurez pas à quel point
votre réalité se relie à toute réalité. C’est ce silence que je voudrais vous
faire parcourir, afin que vous puissiez jeter votre ancienne peau qui vous
serre et vous déplacer sans entraves, sans contraintes c’est là que je voudrais
vous diriger vos soucis et vos craintes, vos passions et vos désirs, vos envies
et vos jalousies, pour que vous puissiez les voir s’évanouir un à un et
soulager ainsi vos oreilles de leurs lamentations incessantes, et épargner à
vos flancs la douleur de leurs éperons pointus. C’est là que je voudrai vous
voir jeter les arcs et les flèches de ce monde, avec lesquels vous espérez
aller à la chasse des satisfactions et du plaisir, et en chassez en vérité rien
d’autre que l’agitation et le chagrin. C’est là que je voudrais vous voir
sortir en rampant de la sombre suffocante coquille du moi pour entrer dans la
lumière et l’air libre du SOI. C’est ce silence que je vous conseille et non un
simple répit pour vos langues fatiguées de parler. C’est le silence fécond de
la terre que je vous conseille, et non pas le silence inquiétant du félon et du
fripon. C’est le silence patient de la poule qui couve que je vous conseille,
et non pas l’impatient caquetage de sa sœur pondeuse. L’une couve pendant vingt
et un jours et attend en confiance tranquille que la main mystique provoque le
miracle sous le duvet de son jabot et de ses ailes. L’autre se précipite hors de
son poulailler et caquète éperdument pour annoncer sa ponte d’un œuf. Prenez
garde aux vertus qui caquètent, compagnons ! De même que vous muselez votre
honte, muselez aussi votre honneur. Car un honneur caquetant est pire qu’un
déshonneur silencieux ; et une vertu bavarde est pire qu’une iniquité muette.
Abstenez-vous de parler beaucoup. Sur mille mots prononcés, il y en a peut-être
un seul qui avait vraiment besoin d’être articulé. Le reste n’est que nuage
pour l’esprit, bouchon pour l’oreille, impatience pour la langue et aveuglement
pour le cœur. Comme il est difficile de dire le mot qui a vraiment besoin
d’être dit ! Sur milles mots écrits, il y en a peut être un seul qui a vraiment
besoin d’être écrit. Le reste est de l’encre et du papier gaspillés et des
minutes auxquelles on donne des semelles de plomb, au lieu d’ailes de lumière.
Comme c’est difficile, oh, comme c’est dur d’écrire le mot qui a vraiment
besoin d’être écrit !
Extrait du Livre de Mirdad
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